 |
 |
 |
|
 |
Ce texte est tiré d'un reportage paru sur FEMINA Maman d’un enfant
handicapé
Elles nécessitent
un suivi de chaque seconde. Est-ce pour cela que leurs mères les
adorent? Nora-Line, 2 ans, Gwendoline, 14 ans. Deux enfants nées
avec le syndrome de Cornelia de Lange. Deux petites poupées vives,
sensibles, et qui ne deviendront jamais grandes.
|
 |
«Elle est intelligente, rusée, «rezippéteuse»
alors même qu’elle n’a pas acquis le langage, elle a toujours un
tour d’avance sur nous...» Laurence Cuanillon Gavillet vibre en
racontant les prouesses de sa fille, une adolescente obnubilée par
la nourriture et accro aux bouillottes. Pareil pour Rachelle qui
s’émerveille des tentatives de Nora-Line, 2 ans, pour saisir les
objets placés sur la table. Des mamans comme les autres? Pas tout à
fait. Des mamans encore plus admiratives de leur progéniture car
sans cesse à l’écoute, et qui ne dorment que d’une oreille. Cette
attention pour décoder des signes et des mimiques crée un lien
extrêmement fort, proche de la symbiose.
«Maladie génétique
très rare, le syndrome de Cornelia de Lange concerne une douzaine de
personnes en Suisse romande, des enfants pour la plupart, même si,
aujourd’hui, rien ne s’oppose à ce qu’elles atteignent l’âge
adulte», précise le Dr Armand Bottani, de la Division génétique des
HUG.
Rachelle, la maman de
Nora-Line
Rachelle est encore une toute jeune
femme. Elle a tout juste 20 ans lorsqu’elle attend un enfant. Et
pourtant, c’est avec joie qu’elle et sa mère comptent les jours qui
les séparent de l’accouchement. Nora-Line naît dix jours avant la
date prévue, avec un poids très faible. Mais c’est surtout les
traits de son visage et une malformation de la main droite qui
alertent les pédiatres et les généticiens. «Quand je l’ai prise dans
mes bras, j’ai eu l’intuition que je n’aurais pas une fille comme
les autres... Quatre jours plus tard, le pédiatre du pavillon des
prématurés me donnait rendez-vous. Quelques mots suffirent et mes
rêves étaient balayés, le bonheur tournait au drame!
» Mon
médecin a été très bien, il m’a expliqué à plusieurs reprises les
symptômes. Il m’a fait l’inventaire des défauts de ma fille: les
sourcils droits, la bouche mince, des petites mains, des petits
pieds... Ce qu’il ne m’a pas dit, c’est à quel point ce sont des
enfants formidables, heureux de vivre, aimants...»
A une
semaine, Nora-Line est transférée à l’hôpital de Morges, proche du
domicile de sa maman. Elle est nourrie par une sonde qui rejoint
l’estomac par le nez. Dans les premiers mois de vie, le problème
principal est la difficulté de manger et de prendre du poids, du
fait d’un reflux gastrique qui entraîne des vomissements.
«J’ai voulu en savoir plus sur les dangers qui concernaient
ma fille et je me suis renseignée sur l’internet. Quand j’ai lu les
listes de mots inconnus qui caractérisent ce syndrome, j’ai été
anéantie. Une infirmière m’a heureusement mise en contact avec la
mère d’une fille souffrant du même syndrome, Laurence Cuanillon.
Elle est venue voir mon bébé à l’hôpital de Morges et elle m’a parlé
de sa vie au quotidien, de sa fille Gwendoline qui avait alors 12
ans, des bonnes et des moins bonnes choses. J’étais soulagée de voir
que je n’étais pas seule.»
«Malgré les difficultés, Rachelle a
hâte d'avoir sa fille à la maison» En congé
maternité, Rachelle passe de longues heures à l’hôpital, auprès de
sa fille. Elle apprend à s’en occuper, à lui donner à manger, à la
manipuler doucement car il suffit d’un rien pour qu’elle vomisse.
Malgré les difficultés, elle a hâte de l’avoir à la maison. Avec
l’aide de la pédopsychiatre, un réseau de soins se met en place:
infirmières à domicile, service éducatif itinérant, assistante
sociale des besoins spéciaux de la petite enfance Pro Infirmis... Et
Nora-Line peut quitter l’hôpital. Elle a 1 mois et demi. Reste à
trouver la perle rare, une maman de jour qui n’aura pas peur des
responsabilités, afin que Rachelle puisse terminer son apprentissage
d’horticultrice.
A 8 mois, Nora-Line subit une opération: la
sonde naso-gastrique, qu’elle arrachait fréquemment, est remplacée
par une sorte de boutonnière sur le ventre qui permet d’introduire
directement les aliments liquides dans l’estomac. Suivent quelques
semaines de convalescence pénibles où elle vomit trois ou quatre
fois par nuit. Le matin et à midi, elle est nourrie à la seringue,
par cette ouverture, le soir très classiquement à la cuillère. Cette
alimentation lui convient, elle prend du poids, dort mieux, fait de
notables progrès. Grâce à cela, aujourd’hui, elle se tient assise
toute seule, marche dans son youpala, saisit les objets. C’est une
petite fille très rieuse.
Le problème digestif et les
retards de développement ne sont pas les seules conséquences de ce
syndrome. L’audition est souvent déficiente. Nora-Line est
malentendante et doit porter un appareil auditif. Courageusement,
Rachelle apprend le langage des signes pour pouvoir communiquer. «A
chaque fois qu’il y a un rendez-vous chez le médecin, je me prépare
au pire. Mes crises d’angoisse et de désespoir se succèdent,
entrecoupées de périodes où je vais bien et où je ne vois que le
positif. J’aimerais faire plein de choses, mais la maladie de
Nora-Line m’en empêche. Son père la prend le week-end. Une fois par
semaine, Nora-Line va à Perceval, un établissement situé à
Saint-Prex. Quand elle se sera habituée, elle ira plus souvent, ce
qui me permettra de reprendre un travail à temps partiel tout en
continuant de m’occuper de ma fille.
» L’AI refuse de
prendre en charge tout ce qui concerne les troubles digestifs, alors
qu’ils sont dus à sa malformation congénitale. C’est important sur
le plan financier: s’ils sont à la charge de l’assurance maladie, je
vais devoir participer aux coûts. En fait, je reçois l’aide sociale
mais ces prêts sont remboursables...» C’est un long combat qui
s’annonce et une lourde charge lorsqu’on a à peine 20 ans!
Laurence Cuanillon, la maman de
Gwendoline
Le syndrome Cornelia de Lange,
longtemps méconnu, ne figure pas dans la liste officielle de l’AI,
explique Laurence Cuanillon, qui représente la Suisse lors de
rencontres d’associations de patients*. Or l’AI ne prend
obligatoirement en charge que les frais découlant de malformations
congénitales, celles dont on peut prouver qu’elles existaient au
moment de la naissance. «Un état de fait qu’il faudrait changer dans
les plus brefs délais», selon le Dr Bottani.
Difficile aussi
de se faire rembourser les heures de surveillance exigées par
l’enfant déficient. Sur ce point, toutefois, les dispositions de
l’AI sont en révision. «Nous avons envoyé notre dossier. Nous
espérons bénéficier d’un remboursement pour les gardes du week-end:
Gwendoline a besoin d’une surveillance constante, vingt-quatre
heures sur vingt-quatre.»
«Dans quatre ans, Gwendoline devra
quitter la maison. Cela me révolte.» En 1990, le
syndrome Cornelia de Lange était moins bien connu qu’aujourd’hui.
Gwendoline n’a donc pas bénéficié du soutien mis en place pour
Nora-Line. Bébé, elle souffrait le martyre suite aux ulcères
provoqués par le reflux gastrique et elle se mutilait. Son calvaire
a cessé lorsqu’elle a été opérée à 3 ans, après deux pneumonies et
un épisode de sang dans les selles. «Elle a enfin pu dormir la nuit
sans souffrir et apprendre que manger peut être un plaisir. A partir
de là, elle a progressé rapidement. Dès l’âge de 4 ans et demi, elle
a su marcher, courir, grimper. Mais il faut toujours la surveiller,
garder un œil sur elle... Elle est extrêmement rapide. Un jour elle
a attrapé un poisson rouge et elle s’apprêtait à le mettre à la
bouche. Un autre jour, elle a arraché des fraisiers à pleines mains
pour manger les fraises. On ne peut jamais la laisser seule dans une
pièce, elle touche à tout, casse beaucoup de choses et risque sans
cesse de se mettre en danger, sans parler du désordre qu’elle fait.
Elle a toujours un temps d’avance sur nous.»
Aujourd’hui,
Gwendoline a 14 ans mais la taille d’un enfant de 6 ans. Dans quatre
ans, elle en aura 18 et elle devra quitter la maison, car il
n’existe malheureusement pas d’autres solutions, même s’il manque
cruellement de places en institution pour ces jeunes adultes. «Cela
me révolte. Je souhaiterais un système de semi-internat pour que
Gwendoline puisse rester avec nous la moitié de la semaine. Certes,
il existe des ateliers protégés où les personnes handicapées sont
accueillies la journée. Mais Gwendoline est beaucoup trop handicapée
pour y participer. Ou alors il faudrait instaurer des ateliers de
casse...»
Dans cette famille recomposée règne une belle
harmonie. Mélanie et Sébastien ont accepté avec bonheur leur
nouvelle demi-sœur et leur papa s’investit dans son éducation. La
maison a été transformée en fonction des besoins de Gwendoline:
séjour ouvert et sans trop de bibelots, cuisine fermée, pour qu’elle
ne vienne pas y faire des dégâts, prises et robinets spéciaux...
mais elle a vite appris comment déjouer ces astuces afin de jouer
avec l’eau. Ses bêtises font rire son frère, qui lui passe tout,
tandis que sa sœur prend son rôle d’éducatrice au sérieux.
«En bref, Gwendoline est notre rayon de soleil!» dit sa
mère, les yeux brillants de fierté. «Sauf quand elle se réveille
pour la sixième fois à 4 heures du matin», nuance-t-elle.
|
 |
 |
Le syndrome
Cornelia de Lange
Décrit par une pédiatre hollandaise
il y a septante ans, ce syndrome commence enfin à livrer son secret.
Après des années de recherche, deux équipes internationales viennent
d’identifier un des gènes responsables sur le chromosome 5. Il
s’agit d’un très grand gène qui joue un rôle essentiel dans le
contrôle du développement fœtal et de l’expression d’autres gènes.
Cette anomalie génétique affecte 1 personne sur 10 000 environ. Elle
se traduit par des signes physiques d’habitude très
caractéristiques, associés le plus souvent à un retard de croissance
physique et intellectuel et à des malformations congénitales
diverses, touchant par exemple les membres supérieurs ou le cœur. Il
existe cependant des formes plus légères de la maladie, ce qui rend
le diagnostic parfois difficile.
|
 |
 |
Françoise Madeleine
Ducret |
|
 |
|